L’Édito
Kanye West, le saumon et le reste
L’autre jour, dans la rue, j’ai vu quelqu’un qui ne m’a pas vu. Interloqué, je l’ai arrêté pour lui demander des explications. Il m’a simplement dit qu’il ne m’avait pas vu et qu’il ne me voyait d’ailleurs toujours pas. Nous nous sommes donc regardés sans nous voir et nous sommes partis en claquant des dents. Un mois plus tard, je marchais à nouveau dans la rue, pas la même, et j’ai pourtant revu le même homme. Il m’a reconnu et m’a adressé la parole. J’en ai donc profité pour lui demander comment il avait fait pour se souvenir de moi alors qu’il ne m’avait pas vu la première fois. Il m’a expliqué qu’il ne me voyait toujours pas et que j’étais la seule personne qu’il n’arrivait pas à voir. Et c’est donc comme ça qu’il me reconnaissait. Nous avons ensuite pris un café ensemble et j’en ai appris un peu plus sur sa théorie oculaire. Il ne me voyait pas parce que je n’étais pas de la bonne couleur. J’ai sursauté quand il a sorti des papiers de sa serviette. C’étaient les résultats des recherches qu’il menait sur la perception. Mon nouvel ami avait découvert qu’on n’était pas capable de voir toutes les couleurs existantes avec ses yeux de naissance. « C’est pour ça que certaines personnes portent des lunettes, pour voir les couleurs qu’elles ne peuvent pas voir autrement ! », m’a-t-il dit. Il m’a aussi dit que c’était pour cette raison que la plupart des gens vivaient en couple : « ce que l’un ne voit pas, l’autre lui enseigne, c’est la base d’une relation durable ».
Je suis conséquemment entré dans une grande période dépressive. Ce grand chercheur venait de m’apprendre que l’Univers avait encore un secret pour moi. Encore une chose que je n’étais pas capable de voir. Et tous ces gens qui comme moi n’étaient pas au courant qu’il manquait quelque chose à leur existence ! Après mûre réflexion, je me suis mis en tête que le futur était incertain et qu’il fallait donc que je me tourne vers le passé. J’ai ainsi repris mes vieilles habitudes du temps où j’étais enfant : manger du saumon et écouter Kanye West.
Grâce à ces plaisirs simples, la NRC est devenue plus altruiste. Marre des célibataires sans lunettes qui ne voient que des pages blanches là où il y a des tas d’articles invisibles pour eux ! Cette fois-ci, nous avons placé l’accent sur la diversité. Avec toutes ces couleurs, il y aura au moins une page que vous pourrez lire. Espérons seulement que vous ne tomberez pas sur une page blanche.
Beaucoup de nos contributeurs ne pouvaient voir que le noir et blanc, il y a donc beaucoup de textes en noir et blanc. D’autres voyaient plus de couleurs mais racontaient des choses que moi-même ai un peu de mal à comprendre. Nos collègues du CELSA, que nous remercions pour avoir travaillé avec nous sur ce numéro, ont souligné le fait que, pour une fois, nous avions fait un découpage judicieux de la revue, non plus par thème mais par couleur, de façon à ce que ceux qui ne voient pas le rouge sautent directement la partie rouge, et que ceux qui ne voient pas le vert sautent directement la partie verte. Ceci dit, si je cherche la partie rouge, je ne parviens pas à la trouver. Alors je cherche la partie verte. Mais je ne la trouve pas non plus. C’est parce qu’en réalité les articles sont quand même classés par thème. Alors moi, thèmes ou couleurs, je ne comprends plus rien et je fais le serment que ce texte est mon dernier édito !
Léo SOLÉ
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